Liberté de la Presse : Darmanin veut museler les journalistes sous couvert de les protéger
- Le 19/11/2020
- Dans FLASH ACTUCGT
AFP, BFM, France Info, Le Monde, Les Échos, Mediapart, Arte,… une quarantaine de sociétés de journalistes dénoncent dans une tribune, publiée le 22 septembre dans Libération, « un feu vert accordé par le ministre de l'Intérieur aux forces de l'ordre pour empêcher les journalistes de rendre compte pleinement des manifestations » et appellent le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, à corriger ce « nouveau cadre d'exercice du maintien de l'ordre » pour le mettre en conformité avec les principes français et européens de la liberté d'informer.
Entretien avec Ludovic Finez, journaliste et membre du bureau national du SNJ-CGT
Quelle a été votre première réaction à la lecture de ce texte ?
La mesure qui nous choque le plus celle où il est question des sommations qui sont faites pour disperser des manifestants lors d'attroupements. Il est écrit : « Il importe à cet égard de rappeler que le délit de se maintenir dans un attroupement après sommation, ne comporte aucune exception y compris au profit des journalistes ou des membres d'associations ».
Cela veut dire qu'on ne reconnaît plus le rôle de témoin du journaliste. On ne lui reconnaît plus le droit de rapporter des faits qui peuvent se dérouler sous ses yeux, ni de rapporter éventuellement des violences qui peuvent venir d'un côté comme de l'autre. Ça équivaut à considérer que faire son travail de journaliste dans ces circonstances peut être une infraction. C'est empêcher les journalistes de faire leur métier.
Le texte dit aussi : « il est nécessaire d'assurer une prise en compte optimale des journalistes et de protéger ainsi le droit d'informer ».
Oui, mais c'est en complète contradiction avec d'autres affirmations du même texte, ce qui du coup nous la rendent totalement gratuite.
La volonté affichée de protéger les journalistes vous semble un alibi ?
Il y a évidemment des mesures avec lesquelles personne ne peut être contre. « La nécessité de préserver l'intégrité des journalistes sur leur terrain est réaffirmé » dit par exemple le texte. Et de nous expliquer qu'on a le droit de porter des équipements de protection dès lors qu'on est clairement identifié comme un journaliste. Ce n'est pas inintéressant parce que sur le terrain, ce n'est pas toujours appliqué. On a vu plusieurs fois des équipements de protection être confisqués à des collègues au motif qu'ils sont considérés comme des armes.
Le port du masque à gaz par exemple est illégal. Or, certains journalistes en sont munis parce qu'on sait dans quelles conditions ils peuvent être amenés à photographier ou filmer…. Du coup, protéger les journalistes physiquement, c'est très bien mais s'ils ne peuvent plus rendre compte de ce dont ils sont témoins au cœur d'un attroupement, ça revient à les museler. Alors oui, on rejette l'alibi ou contradiction majeure de ce schéma.
L'identification des journalistes par la carte de presse est-elle une bonne idée ?
Non. On nous parle d'identifier les journalistes selon leur carte de presse mais de quelle carte de presse parle-t-on ? On sait très bien que tous les journalistes ne remplissent pas les critères nécessaires à l'obtention de la carte de presse alors qu'ils font ce métier sans elle…
Et s'accréditer auprès des autorités au préalable ?
Qu'est-ce que cela veut dire ? Faudra-t-il être accrédité pour suivre une manifestation ? Va-t-il falloir être accrédité de façon générale pour suivre les manifestations ? Nous rejetons cette disposition car nous considérons que nous n'avons pas à être accrédités auprès d'une quelconque autorité pour être autorisés à rendre compte de ce qui se passe dans une manifestation et faire son travail.
Le texte évoque aussi la diffusion de prises de vues tournées par des équipes des forces de l'ordre…
Les mots et les objectifs devront être précisés mais oui, il est question de favoriser la diffusion d'images prises par les forces de l'ordre. Est-ce que ça veut dire que les forces de l'ordre sont maintenant susceptibles de fournir aux médias des photos et des vidéos qu'elles tourneront pendant les manifestations ? Le métier de journaliste est un travail bien spécifique…
Sont également envisagés des exercices conjoints pour mieux se connaître entre journalistes et forces de l'ordre. On parle de journalistes « embeded » comme pendant la guerre en Irak, c'est-à-dire embarqués du côté des forces de l'ordre pendant qu'elles font leur travail dans les manifestations.
Évidemment, on s'interroge sur le contrôle qu'il y aura derrière sur le travail des journalistes et l'orientation qui lui sera donné. Quand on est journaliste on sait très bien ce qu'est un point de vue et que selon le point de vue que l'on a sur un évènement, le récit peut changer complètement. On a vraiment le sentiment d'une tentative de contrôle et d'encadrement du travail de journaliste.
Quel bilan faites-vous de ce texte ?
Ce schéma tombe sans aucune concertation avec les syndicats de journalistes, malgré leurs nombreux communiqués sur les violences policières, l'interpellation directe du ministère de l'Intérieur, la saisine du Conseil de l'Europe… Or, on sait bien que des journalistes ont révélé des abus, des violences, parfois graves, et notamment de la part des forces de l'ordre vis-à-vis de manifestants et également de journalistes. On a le sentiment qu'ils préféreraient éviter que ce genre d'évènement soit connus du public.
Source : https://nvo.fr/manifestations-darmanin-veut-museler-les-journalistes-sous-couvert-de-les-proteger/
Des milliers de manifestants ont protesté mardi 17 novembre dans plusieurs villes et à Paris contre les violences policières et le texte sur la « sécurité globale » qui prévoit notamment de réprimer pénalement l’usage « malveillant » d’images des forces de l’ordre.
A Paris plusieurs centaines de personnes s’étaient rassemblées en milieu d’après-midi à l’appel notamment de syndicats de journalistes (dont le SNJ-CGT) et associations de défense des droits de l’homme pour protester contre la proposition de loi « sécurité globale » qui empêcherait les journalistes et citoyens de filmer les forces de l’ordre durant les manifestations.
Le rassemblement vise l’article 24 de cette proposition de loi portée par LREM et son allié Agir, dont l’examen démarrait mardi.
Cet article controversé prévoit de pénaliser d’un an de prison et 45.000 euros d’amende la diffusion de « l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d’un policier ou d’un gendarme en intervention, lorsque celle-ci a pour but de porter « atteinte à son intégrité physique ou psychique » .
Les syndicats de journalistes qui appelaient à ce rassemblement au côté de la Ligue des droits de l’homme, d’Amnesty International et d’autres organisations comme Reporters sans frontières, estiment qu’elle revient de fait à interdire aux journalistes et aux citoyens de filmer les policiers en action et empêcherait, par exemple, de documenter les violences policières.
À Rennes, 300 à 400 personnes se sont rassemblées dans la matinée. À Lyon, 700 personnes ont participé vers 18H00 à un rassemblement devant la préfecture tandis qu’était publiée une étude sur le devenir des plaintes visant les forces de l’ordre, intitulée « La fabrique de l’oubli ». Réalisée par le « Comité de liaison contre les violences policières » regroupant collectifs de victimes, syndicats et partis politiques, elle souligne l’importance des vidéos dans les enquêtes. À Toulouse, 1.300 manifestants selon la préfecture, dont de nombreux Gilets jaunes venus pour les deux ans du mouvement, se sont rassemblés dans le centre.
À Bordeaux, 700 à 800 personnes, dont des Gilets jaunes, se sont rassemblées en soirée près du palais de justice.
À Marseille, la manifestation a réuni plusieurs centaines de personnes qui ont applaudi la diffusion d’images du documentaire de David Dufresne « Un pays qui se tient sage », dénonçant les violences policières.
À Grenoble, 400 personnes rassemblées contre les violences policières ont été rejointes par une retraite aux flambeaux d’une centaine de Gilets jaunes.
Source : https://nvo.fr/video-manifestations-a-paris-et-en-regions-contre-la-loi-securite-globale/