Paroles de soignants : dans la rue pour défendre l'hôpital

A l'appel de 80 syndicats, collectifs et associations d'usagers, les soignants sont de nouveau descendus dans la rue samedi 4 décembre 2021 pour réclamer un plan d'urgence, une reconnaissance de leur métier, des embauches. Alors que la cinquième vague d'épidémie approche, les soignants surfent sur les désillusions et l'épuisement. L'hôpital public semble au bord de l'effondrement.

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Paroles de soignants et de citoyens.

Guillaume, infirmier Samu à l'hôpital Raymond Poincaré, Garches (Hauts-de-Seine)

« J'exerce mon métier avec passion »

« Récemment, un médecin régulateur a dû contacter une trentaine de services pour accueillir un patient atteint du Covid, faute de places dans les hôpitaux d'Ile-de-France. Nous risquons la saturation dans les jours qui viennent. La crise sanitaire n'a fait qu'exacerber les maux dont souffrent l'hôpital public, le manque de personnel. On est au bord de l'implosion, des services, des lits sont supprimés faute de soignants. On n'est absolument pas reconnu sur le plan salarial. Par exemple, quand on travaille de nuit en 12 heures, on est payé 6 euros de plus. Résultat, 40% des postes de nuit ne sont pas couverts. L'hôpital de Garches devrait fermer d'ici 2028 pour fusionner avec celui d'Ambroise Paré, avec à la clé une nouvelle suppression de lits. J'exerce mon métier avec passion, j'aime ne pas être enfermé dans un service, cette montée d'adrénaline que procure l'urgence, la nouveauté. Un jour, on débarque dans un appartement de 300 mètres, le lendemain dans une chambre de bonne. Je travaille à l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris depuis 1998, je ne suis pas certain d'y rester encore longtemps.

Ouarda Bennacer, cadre de santé à la Pitié Salpêtrière, Paris

« J'ai l'impression de dégrader du dégradé »

Je gère trois unités de pneumologie depuis onze mois. Je ne sais pas ce que c'est que de travailler en mode normal. J'ai débarqué dans une organisation déjà très dégradée, j'ai l'impression de dégrader du dégradé. C'est la suffocation. Certaines journées, j'ai l'impression d'être schizophrène, je navigue entre des consultations, l'endoscopie, l'hôpital de jour, l'exploration fonctionnelle et je dois trier les urgences managériales. Ma mission première, aujourd'hui, est d'assurer la survie des plannings ! Les équipes de soignants sont déjà tellement réduites que le moindre arrêt nous désorganise complètement. Une infirmière est en burn-out, une autre est en congé maternité, une troisième en arrêt maladie. On n'arrive pas à les remplacer faute de suppléance. La situation est pire concernant les infirmières spécialisées.

« On a cru que la vie d'avant ne serait pas la vie d'après »


Aurélie Langlet, infirmière anesthésiste diplômée d'état à l'hôpital Ambroise Paré, Boulogne-Billancourt

Il faut avoir minimum deux ans d'expérience professionnelle, compléter notre diplôme d'infirmier par une formation spécifique pour exercer notre métier, équivalent à un bac+7. Et pourtant, entre un infirmier non spécialisé et un infirmier spécialisé IADE, il y a 13 euros de différence. Au bout de cinq ans comme IADE, mon salaire brut est de 2280 euros bruts. Les IADE sont en grève depuis le mois de novembre car le gouvernement refuse de reconnaître leur pratique avancée. Notre métier risque de disparaître, faute d'attractivité. Pendant la pandémie, des blocs ont fermés, des opérations ont été déprogrammées pour que nous allions prêter main forte en réanimation. On a ressenti une forte cohésion entre les professions, on a vraiment cru que la vie d'avant ne serait pas la vie d'après. Et puis, nous voilà de nouveau dans la rue, on avait l'espoir d'être enfin reconnu, c'est la désillusion. Le Segur de la santé est une fumisterie. Notre système de santé est en train de mourir.

Évelyne Bourgeois, agent de service hospitalier au CHU de Rouen

« Ce qui me fait tenir, c'est qu'on reste très solidaires entre collègues »

Durant la pandémie, on n'a pas compté nos heures, aujourd'hui, on en subi le contrecoup, l'absentéisme s'est aggravé. On fonctionne en sous-effectif. En gériatrie, 46 lits ont fermé faute de médecins, de soignants. Le personnel a ordre d'envoyer les patients à leur domicile ou en soins de suite le plus rapidement possible et on apprend leur décès quelques temps après. Ou alors, les patients stagnent aux urgences faute de places dans les services adaptés. Ce qui me fait tenir, c'est qu'on reste très solidaires entre collègues, avec les infirmiers, les aides-soignants. Et puis, j'aime le relationnel avec les patients.

« La tarification à l'activité conduit à des aberrations »

Julien Gaudric, membre du collectif inter hôpitaux, chirurgien à la Pitié Salpêtriere Paris

L'hôpital public se fait torpiller depuis des années, on a jamais été aussi proche de l'effondrement. Si en dépit des vagues d'épidémie, les gouvernements refusent d'investir massivement, c'est qu'il y a une vraie volonté de le piller. Du fait du manque de personnel infirmiers, un tiers des blocs opératoires est fermé, des services tels que la chirurgie cardiaque, la neurologie, sont très affectés. Durant la première vague, on avait réussi à se débarrasser des tâches administratives qui nous empêchent d'exercer, pour se consacrer au soin. Et puis, retour à l'anormal, à l'hôpital Mac Donald's, avec des procédures reproductibles et encombrantes. Faute de secrétaire médicale, les médecins se retrouvent à taper les courriers, répondre au téléphone… On compare souvent le chirurgien au pilote. Sauf qu'on a jamais vu un pilote convoyer les bagages dans la soute en cas d'absence de personnel spécifique. La tarification à l'activité conduit à des aberrations. Un médecin peut par exemple être incité à privilégier un mode de consultation par rapport à un autre car quatre fois mieux tarifé. L'hôpital récupère de l'argent sur le dos de la Sécurité Sociale dans une logique simplement gestionnaire. L'administration le justifie en expliquant qu'elle va pouvoir embaucher du personnel grâce à ce surcoût.

Pascal Bignon, membre du collectif Audace 53, collectif de défense des hôpitaux et des maternités de proximité, Mayenne

« Notre territoire rural est un désert médical »

Notre association s'est mobilisée récemment contre la fermeture de la chirurgie conventionnelle à l'hôpital, ce qui aurait probablement conduit par la suite à la fermeture de la maternité. Notre territoire rural est un désert médical, j'ai mis huit mois à décrocher un rendez-vous chez un cardiologue, on manque d'ophtalmologistes, de médecins de villes. Les urgences sont congestionnées car les gens ne savent pas où aller. Dans la Sarthe, département voisin, un homme est mort faute d'avoir été pris en charge à temps. Ma fille, qui travaille à l'hôpital est sans cesse rappelée sur ses congés. Heureusement que papi et mamie sont là pour garder la progéniture. Les gens sont préoccupés de la situation à l'hôpital. Pourtant, le sujet ne semble pas passionner les candidats de droite à la présidentielle pour qui la santé est un coût. Point barre.

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