Recours abusifs à des CDD = sanction civile mais aussi pénale

Rubon82

Les établissements de santé sont soumis aux règles encadrant le recours aux contrats à durée déterminée. La Cour de cassation vient de le rappeler, tout abus est passible de sanctions pénales. Y compris au sein d'un Ehpad.

Il est interdit de recourir aux contrats à durée déterminée (CDD) pour pourvoir durablement des emplois liés à l'activité normale et permanente d'une entreprise. Cette règle, sanctionnée pénalement, s'applique à toutes les entreprises, y compris aux établissements de santé, et notamment aux Ehpad. Un principe que rappelle la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 8 juin 2021.

L’arrêt N°20-83.574 de la Cour de cassation, Chambre criminelle, du 8 juin 2021 a rejeté le pourvoi de l’employeur et a confirmé le jugement de la Cour d’Appel de Versailles qui avait condamné MEDICA FRANCE à verser une amende 18.500 € et indemniser les salariés et l’Union locale CGT de leur préjudice.

Ce jugement est une victoire de la CGT pour la défense des droits des salariés et contre les recours abusifs aux CDD précaires de certains employeurs dans le secteur sanitaire, social ou médico-social.

Historique de la situation

En 2014, au sein de la résidence Saint-Charles, Ehpad situé à Sceaux (92), les délégués du personnel et l'union locale CGT tirent la sonnette d'alarme.Pour avoir à disposition une main-d'œuvre flexible, la direction recrute en masse des salariés en CDD sur des postes théoriquement réservés aux CDI. L'inspection du travail diligente une enquête et dresse procès-verbal.

L’inspection du travail avait constaté le recours à plusieurs salariés recrutés en CDD entre 2012 et 2014 pour pourvoir au remplacement des absences normales et prévisibles des personnels en contrat à durée indéterminée de l’établissement, dont 322 CDD pour des postes d’aide-soignante et 870 CDD pour des postes d’agent de vie sociale.... le tout représentant un quart des effectifs de la résidence.

Condamnation en correctionnelle

La société Medica France, qui gère l'Ehpad, est assignée devant le tribunal correctionnel avec, comme chef d'accusation, la « conclusion de contrat de travail à durée déterminée pour un emploi durable et habituel ». Pour se justifier, l'employeur invoque le volume d'équivalents temps plein préconisé par l'agence régionale de santé (ARS) dans le cadre d'une convention tripartite conclue avec le conseil départemental et l'Ehpad. Ces recommandations de l'ARS – fixant le nombre d'emplois subventionnés en fonction du nombre de lits –, étant respectées, il ne peut y avoir fraude à la législation sur les CDD.

Argument balayé par les juges : l'évaluation du nombre de CDI estimés nécessaires par l'ARS constitue un plancher et non un plafond. La société pouvait donc recruter davantage de personnel en CDI pour éviter le recours aux CDD. Ces contrats précaires étant utilisés pour couvrir durablement des besoins permanents en aides-soignants et agents de vie sociale au sein de l'Ehpad, l'infraction est bel et bien caractérisée. L'employeur est condamné à payer 18 500 euros d'amende et 2 500 euros à l'union locale CGT, en réparation du préjudice subi.

Le recours abusif aux CDD par MEDICA FRANCE

Dans cet établissement, les CDD étaient conclus pour le remplacement de salariés et ces pratiques ne visaient qu’à pourvoir des emplois correspondant aux activités habituelles au sein de cet établissement des salariés en contrats à durée indéterminée (CDI) au sein de l’entreprise.

Pour la Cour de cassation, ces recours abusifs aux CDD caractérisaient une volonté d’avoir à disposition une main d’œuvre flexible dans cet établissement et cela était constitutif d’un abus visant, en réalité, à pourvoir durablement des emplois liés à l’activité normale et permanente de l’établissement de santé.

La Cour d’appel de Versailles avait confirmé le jugement du Tribunal Correctionnel et la Cour de cassation, dans son jugement du 8 juin 2021, rejette le pourvoi de la société MEDICA FRANCE.

Les cas de recours aux CDD dans le secteur privé

L’article L. 1242-1 du Code du travail prévoit qu’un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

Sous réserve des dispositions de l’article L. 1242-3 du Code du travail, l’article L. 1242-2 du même code précise qu’un CDD ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, et seulement dans certains cas, par exemple : Accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise, emplois à caractère saisonnier, Remplacement d’un salarié en cas de passage provisoire à temps partiel ou de suspension de son contrat de travail,...

L’article L. 1248-1 du même Code précise que le fait de conclure un contrat de travail à durée déterminée qui a pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise est puni d’une amende de 3 750 euros. La récidive est punie d’une amende de 7 500 euros et d’un emprisonnement de six mois.

Ob 5ada42 20061101102305 precarite

Une saisine du CPH pour requalifier les CDD en CDI

Dans ce jugement de la Cour de cassation, Il s’agit du volet "pénal" des condamnations au titre du recours détourné aux CDD.

Toutefois, en parallèle les salariés qui ont été embauchés via de nombreux CDD en vue du remplacement général du personnel ou dont le motif de recours n’est pas avéré, sont également fondés à saisir en référé le conseil de prud’hommes compétent pour faire requalifier le ou les CDD litigieux en CDI et obtenir une décision du conseil des prud'hommes dans un délai très court, ce qui permettra de garder son emploi, ou à défaut d'obtenir le paiement d’une indemnité de requalification à titre de sanction égale à un mois de salaire (article L.1245-1 du code du travail) outre d’éventuels dommages intérêts au titre de la rupture irrégulière et sans cause réelle et sérieuse du ou des CDD requalifiés en CDI, voire une indemnité de licenciement (si le salarié a plus de 8 mois d’ancienneté) ainsi qu’une indemnité de préavis.

Ce jugement rendu par la cour de cassation, chambre criminelle, peut aussi être utilisé en appui d’une procédure initiée devant le conseil de prud’hommes afin de rappeler à l’employeur et aux juges que ce type de comportement est également pénalement répréhensible.

À savoir

Le fait de conclure un ou plusieurs CDD, ayant pour effet de pourvoir durablement un ou plusieurs emplois liés à l'activité normale et permanente de l'entreprise, fait l'objet de deux sanctions distinctes dans le Code du travail. Au civil, le CDD est requalifié en CDI (art. L. 1242-1 et L. 1245-1 du C. du trav.), tandis qu'au pénal, l'employeur risque une amende de 3 750 euros (7 500 euros et un emprisonnement de six mois en cas de récidive) (art. L. 1248-1 du C. du trav.).

Secteur LDAJ de la Fédération CGT Santé Action Sociale + NVO DROITS - Août 2021

 

 

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